Le plus vieux manoir de Sarzeau : Kervillard
À l’Ouest du bourg de Sarzeau, avec ses murs blancs et son jardin sous grands arbres, le manoir de Kervillard, passerait presque inaperçu lorsque l’on est rue du Général de Gaulle. Il n’en est pas de même lorsque l’on vient du Ruault et que l’on voit, de loin, sa tour ronde rehaussée qui fait croire à un moulin. On devine qu’il s’agit là d’une construction particulière. Mais que sait-on de son passé ?
Il s’agit tout simplement du plus vieux manoir de Sarzeau. Plus âgé que l’Hôtel de Ville, l’Église ou la Maison Lesage.
Plus âgé qu’un autre manoir tout proche, celui de Kerthomas, qui n’apparaît qu’à l’Époque Moderne, Kervillard remonte au Moyen Âge à une époque où les documents nous font malheureusement défaut.
UN MANOIR DU MOYEN ÂGE
Construit très près de ce point stratégique de la Presqu’île : la Croix de Kerthomas (autrefois Croix Laurens) d’où partent les voies vers Saint-Gildas et Arzon et où se tenait le Marché (la rue du Général de Gaulle s’appelait rue du Marcheix), Kervillard se dressait fièrement à une extrémité du bourg de Sarzeau. Les Templiers, on le sait, possédaient une partie de l’actuelle propriété de Kerthomas et la chapelle de La Madeleine était toute proche.
Quelle famille édifia ce manoir ?
La famille de Sarzeau vient immédiatement à l’esprit. Nous en connaissons deux membres, Nicolas au XIIIe et Alain au XIVe. On sait qu’une partie des biens de cette famille – dont nous ne connaissons pas les armes – échoua à l’Ordre des Trinitaires et leur nom disparut peu après.
Un autre nom apparaît à la fin du XVe, celui de la famille Jégo. Ce nom est courant mais, sous cette forme, il n’a produit qu’une famille noble en Bretagne en presqu’île Guérandaise. Les Jégo[1] sont seigneurs en Batz, en Guérande et de Praderoy en Mesquer. C’est peut-être à cette famille qu’appartient Jean Jégo, propriétaire, à la fin du XVe, du clos Jégo (au Sud du presbytère de Sarzeau), d’une maison au Tour-du-Parc et d’une lande à Arzon. Il serait le père d’Ysabeau Jégo, propriétaire en 1510 de Kervillard et d’un jardin rue du Four (rue Poulmenac’h) avec Eonnet Olliviero. Un parent, Dom Olivier Jégo, avait fondé une chapellenie dans Sarzeau dotée d’une maison rue du Four[2].
Cette Ysabeau Jégo avait épousé Hervé Bégasson, d’une famille originaire de Pleucadeuc qui s’était divisée en deux branches. Pierre, l’aîné, avait épousé Charlotte de Brignac et avait eu pour successeur Thébaud et Pierre au XVe siècle. Le cadet, Marquis, époux de Jeanne de Brignac, avait hérité de la terre familiale de Bégasson. On ne sait à laquelle de ces branches appartenait Hervé. Il était de toute façon parent des Brignac.
EPOQUE MODERNE : LES DROUILLARD
Au début du XVIe siècle, Kervillard était situé dans un quartier particulièrement actif de Sarzeau. Il jouxtait le marché à l’Ouest et la fontaine au Nord, une voie reliant ces deux pôles de la vie du bourg.
De l’autre côté de la fontaine se trouvait la demeure de Jean Drouillard, fils du fameux Laurent, auteur de Kerlin (voir dans ce bulletin p. 8). C’est là qu’il avait son pressoir. En face, sur la place, il y avait un vivier. Tout près de là, passaient les charrettes qui allaient et revenaient du moulin. On voit bien que toute l’activité économique était concentrée dans ce quartier de Sarzeau. Plus tard, le déplacement du marché vers la place de l’Église, l’abandon du moulin au XVIe, du pressoir et enfin de la fontaine au XXe n’en feront plus qu’un quartier résidentiel.
Jean Drouillard qui a épousé Marguerite de Quérisec, dame de Calzac, a trois fils : Guillaume, l’aîné, hérite de Kerlin et de la maison de Sarzeau avec le pressoir. Son frère cadet – prénommé
aussi Guillaume – sera recteur de Sarzeau et propriétaire, entre autres, de :
• « partie d’un clos et pièce de terre cernée de mur nommée le clos Jego[3] ».
• – « moitié d’une maison couverte d’ardoyse avecque son jardin derriere […] qui fut autrefois a Ysabeau Jego veufve de Herve Begasson a cause desquelles choses n’est [rien] du a icelle seigneurie fors obeissance »[4].
La dernière phrase confirme la noblesse du lieu. Il semble bien qu’il y ait eu un rapport de parenté entre les Drouillard et les Jégo, mais nous ignorons lequel.
JOCET, SEIGNEUR DE KERVILLART ( EN PLUMELEC )
Le nom de Kervillart apparaît à la Réformation de 1454 dans le village de Kerivaux, paroisse de Plumelec.
Il s’agit d’une tenue roturière possédée autrefois par Eon Le Bouro et cette année-là par Marguerite Le Branbec qui est noble. Dans ce même village se trouve la métairie du Gastonuet possédée par Alain Jocet, époux de Béatrice Doussin (on trouve Eonnet Doussin dans le village voisin de Kerfredou). Cet Alain est le fils de Jean et Sevestre de Senac et petit-fils de Eon qui fut, en 1400, maître d’hôtel de la duchesse Jeanne de Navarre.
Le fils d’Alain, Jean, est en 1513 seigneur de Gastonuet (aujourd’hui Gastonnet) mais il demeure à Sarzeau où il a épousé Catherine, fille de Jean Maubec seigneur de Truscat. Ce mariage lui a apporté la belle demeure du coin de la rue Bécherel (aujourd’hui bar Le Richemont). Comme le Gastonnet a annexé la terre de Kervillart, il peut se faire appeler Jocet de Kervillart.
Jean est-il le premier Jocet à Sarzeau ? On peut se le demander quand on voit qu’en 1510 un étang – proche de Suscinio – s’appelle l’étang Josset. N’a-t-il pas été cédé autrefois, par le duc Jean IV ou sa veuve
Jeanne de Navarre, à Eon ?
En 1536, Catherine Maubec est veuve et on dit que son fils Guillaume possède « Le Gastonuet de même que Kervillart en Plumelec et Ruys »[5]. On entend par Ruys les marais nobles de Truscat qui faisaient partie des biens de sa mère.
C’est ce Guillaume Jocet de Kervillart, époux de Jeanne Vitré (elle aussi d’une vieille famille de Rhuys) qui donnera sans doute son nom à la maison possédée autrefois par les Jégo et les Droillard rue du Marcheix[6]. Son fils Guillaume épouse une Le Mezec (de Brech). Viennent ensuite : Thomas, époux de Julienne Le Bot (de Sarzeau), puis Sébastien, époux de Marguerite de Francheville (de Theix). Ce dernier, lors de la Réformation de Sarzeau, est l’un des cinq seigneurs résidant constamment à Rhuys. Pendant tout le XVIIe siècle, les Jocet sont aussi seigneurs de Kerallier, ce qui en fait des seigneurs importants sur le plan local. Sébastien décède à Vannes en 1674. Adrien Régent nous dit qu’en 1677 les Ursulines ont créé un école dans le manoir, signe que les Jocet n’y sont plus. On trouve, en effet,
Louis – qui n’avait que 8 ans à la mort de son père Sébastien – à Bréhan Loudéac où il se marie en 1692. Le nom de Jocet disparaîtra avec lui, mais pas celui de Kervillart qui est repris par les Gobbé qui leur succèdent en ce lieu.
UN MAIRE ET UN CONSEILLER GÉNÉRAL
Les Gobbé de Kervillard furent déboutés à la Réformation de 1669. Ils n’étaient pas d’aussi vieille noblesse que les Jocet. L’un de leurs membres réussit néanmoins à devenir maire de la communauté de Rhuys en 1712. Le manoir devenait ainsi la demeure du plus haut magistrat de la Presqu’île. Rappelons en effet qu’Arzon et Saint-Gildas avaient, à cette époque, le même maire et le même gouverneur que Sarzeau. Les Gobbé demeurèrent à Kervillard pendant tout le XVIIIe siècle.
Leurs descendants en restèrent propriétaires pendant le XIXe siècle. Ce furent : Jean Marie de Beauchesne de La Chevaleraie, Caroline du Quengo, Amélie épouse Frédot du Plantys (décédée en 1873) et sa fille, épouse Gallic de Kerisouët. De très beaux noms de Bretagne mais qui ne résidaient plus dans le manoir. On trouve, au milieu de ce siècle, un locataire de Kervillard qui fut juge de paix de Sarzeau et l’un de ses premiers conseillers généraux (1849-1852) : Jean Le Quellec. Suivant Gabriel de Francheville (1836-1849) et précédant Amédée du même nom (1852-1871), il fut le premier conseiller général roturier, élu du canton de Sarzeau. Il est vrai qu’il vivait dans un manoir, ce qui compensait un peu sa modeste origine !…
de Beauchesne |
du Quengo |
Frédot |
Le Gallic |
600 ANS ET TOUJOURS EN FORME
Le XXe siècle n’a pas ébranlé ce manoir multiséculaire qui est l’une des fiertés de Sarzeau.
Il a commencé le siècle en abritant l’un des premiers concessionnaires automobiles de France (M. Josso) et l’a terminé dans l’action sociale en hébergeant l’Association du Moulin Vert depuis 1980.
Le manoir a été mesuré méthodiquement en 1510, 1680 et 1830 à l’occasion des Rentier, Terrier et Cadastre. Nous savons donc que nous sommes toujours en face de l’édifice du Moyen Âge très peu remanié.
Vivre 600 ans dans un bourg d’une région particulièrement active, sans le moindre signe de fragilité, c’est véritablement un record. Mais quand on a vu, devant son portail, Jean IV et David Lappartient – en passant par Richemont, Lesage, Marie Le Franc ou Raymond Marcellin – on doit se dire que ça vaut vraiment le coup d’être un manoir et que l’on peut bien vivre quelques siècles de plus.
Article rédigé en 2011 – BULLETIN n° 20
AUJOURD’HUI – EN 2024
Le quartier de Kervillard transformé a fait l’objet d’un long article dans le bulletin 43 (décembre 2022) de la Maison Forte et Patrimoine de Rhuys.